L’analyse des risques dans le milieu du spectacle : une règlementation sclérosante ?

Acteur et spectateur
Les techniciens du spectacle vivant en Europe

Moe-Kan intervient depuis quatre années en tant que responsable sécurité pour le Festival Pause Guitare d’Albi. Dans ce cadre, le Capitaine DARGET, officier préventionniste des sapeurs-pompiers du SDIS du Tarn, est son interlocuteur principal pour la mise en œuvre du dossier de sécurité pour ce type de manifestation dénommé « Grands rassemblement ». Nous avons donc voulu lui donner la parole pour nous expliquer en quoi son parcours est au service de sa mission dans le domaine du spectacle vivant et comment il conçoit son rôle de préventionniste au contact du secteur d’activité du spectacle.

La découverte d’un métier

 

Moe-Kan : Capitaine, pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Capitaine Darget : Mon parcours est assez simple. J’ai découvert, à l’âge de 19 ans, le métier de sapeur-pompier en 1977 en effectuant mon service militaire. A ce moment-là, je n’ai qu’un modeste CAP de mécanicien. Je devais devenir ambulancier avec un oncle, et il fallait que j’obtienne le brevet de secourisme. J’ai regardé ce qu’il y avait de plus près de chez moi. Comme j’avais fait une préparation militaire marine, j’ai choisi les marins-pompiers de Haute-Savoie. Lorsque j’ai passé les tests à l’armée, ils voulaient que je sois officier de réserve. J’ai cependant refusé, en expliquant que je voulais être marin-pompier. Je me souviens encore de l’officier-orienteur me disant : “Mais, vous pouvez faire mieux que cela !” Mais, comme j’avais un objectif précis une fois mon service national terminé, j’ai tenu bon. Au final, en découvrant les marins-pompiers, j’ai découvert un métier.

En rentrant de l’armée, je contacte un ancien professeur de gymnastique qui était également pompier volontaire. Sur ses conseils, j’écris à la mairie d’Annecy (nous étions alors sur un statut de sapeurs-pompiers communaux), et je deviens pompier-volontaire. Sortant de l’armée dans le corps des marins-pompier, j’avais déjà un parcours de formation, le langage et la connaissance du caractère opérationnel. Dans le même temps, je prépare ce qui s’appelait, à l’époque, l’examen professionnel de sapeur-pompier non-officier. Je l’obtiens en 1979 et, deux ans plus tard, je suis embauché à la ville d’Annecy. Je déroule alors ma carrière dans ce centre de secours principal, le plus grand centre du département qui compte une centaine de pompiers professionnels.
Quelques années plus tard, je deviens père de famille. Dans le même temps, le seul service qui accueille l’arrivée de l’informatique, c’est le service prévention. C’est le premier service qui a été informatisé. On y trouve, en effet, beaucoup de base de données. Personne ne voulait aller y travailler. J’y ai personnellement vu une opportunité de me former et de développer mes connaissances. En 1987, je l’intègre donc dans le cadre de la commission communale de sécurité. Je ne suis pas diplômé à l’époque. Je suis, par contre, tombé sur un capitaine qui m’a formé et qui m’a envoyé, une fois que j’étais compétent et prêt, à l’examen du brevet de prévention, l’équivalent de l’AP2 aujourd’hui[1]. C’est toujours, en effet, un examen de spécialité parmi les plus compliqués. J’ai trouvé dans ce service d’abord un intérêt à l’informatique, et ensuite la découverte de règlementation.

Bien entendu, dans cette activité, je fais le lien avec le caractère opérationnel de la prévention, et l’intérêt de partager la culture du bâtiment, de la sécurité et le métier même d’interventions de sapeur-pompier. J’y expérimente Les problématiques engendrées par la fumée, par la chaleur, la déformation des matériaux, la thermodynamique, etc..

En 1993, j’obtiens le brevet de prévention, je suis alors le seul sous-officier de ma promotion, il n’y a, avec moi, que des officiers. Paradoxalement, on m’a demandé de quitter la prévention quand je suis rentré de la formation, parce qu’il fallait restructurer un service formation. J’ai accepté ce challenge. Par la suite je me suis retrouvé à Rumilly en tant qu’adjoint au chef de centre en tant que sous-officier… J’ai alors accédé aux fonctions de chef de groupe, donc le commandement opérationnel.

Mais je regrettais de ne plus faire de prévention. Au moment de passer l’examen professionnel de Major en 2002, on m’a appelé pour être préventionniste à la direction départementale des pompiers de Haute-Savoie. Encore une fois, personne ne voulait le faire car c’est une spécialité compliquée, parce qu’elle possède des contraintes juridiques voire judiciaires, et il y a beaucoup de travail !

J’ai répondu que j’étais intéressé et je l’ai intégré en 2003. J’avais une spécialité un peu particulière, j’effectuais les commissions de sécurité des refuges de haute-montagne. Je me déplaçais en hélicoptère, en ski, en motoneige, en 4X4.. En trois ans, j’ai vu une bonne partie des 120 refuges de Haute-Savoie.

Moe-Kan : Donc, en 2003, vous n’avez toujours aucun lien avec l’activité spectacle ?

Capitaine Darget : Si, cela commence. Puisque, parmi les grands dossiers du département, j’aide le chef de service à organiser la fête du lac d’Annecy. Il s’agit de superviser la sécurité sur cette fête qui accueille 300000 personnes, avec les abords du centre-ville complètement bouchés, les espaces scéniques, les radeaux sur le lac, la pyrotechnie… et je me suis senti à l’aise dans la présentation de ce dossier en préfecture devant le préfet, avec tous les services concernés, police, RG, etc..

Être à l’écoute des organisateurs

 

Moe-Kan : est-ce que pour intervenir dans la prévention des risques dans le domaine du spectacle, cela nécessite une sensibilité particulière ? Pour saisir les enjeux de l’artistique ?

Capitaine Darget : Ma première motivation est d’abord axée sur ma responsabilité d’analyse de risque dans l’étude de danger. L’analyse de danger en plein air est complètement différente de celle dans un bâtiment. On a moins affaire au problème de la fumée mais, par contre, nous sommes confrontés aux problèmes de l’importance du public, des phénomènes de panique. Dans l’intérêt du bon déroulement d’une manifestation, l’officier préventionniste se doit d’être à l’écoute des organisateurs. Il ne doit pas considérer comme des caprices, le fait, pour ces organisateurs de demander telle ou telle chose. La bonne écoute d’un officier préventionniste dans un tel dossier, c’est en permanence de se poser les questions qui l’obligent à se confronter aux problèmes. Cela suscite forcément un intérêt pour le spectacle, le caractère ludique de la vie et des gens dans une manifestation. Ma compréhension dans le dialogue se situe là.

Moe-Kan : Pour revenir à votre parcours, que se passe-t-il alors ?

Capitaine Darget : Pendant trois années, je suis donc au service prévention de la direction des pompiers de Haute Savoie et puis je suis muté dans le Tarn pour des raisons familiales. J’arrive donc en juin 2006 dans le Tarn et j’intègre un service où la prévention est centralisée à l’Etat-Major (la direction). Dans les groupements, il y a des officiers qui effectuent uniquement des visites sur le plan territorial, mais tout le travail est centralisé auprès de cinq officiers qui pilotent la totalité des dossiers. Nous avons donc une responsabilité sur l’arrondissement d’Albi. Très vite, dans le cadre des manifestations, je me retrouve à traiter le Summer Festival[2] et, bien entendu, Pause Guitare[3].

Moe-Kan : Est-ce que cela signifie qu’aujourd’hui, vous êtes identifié comme étant la personne référente pour ce type de manifestation ?

Capitaine Darget : Je suis une des ressources. La particularité de la prévention, c’est que personne n’est irremplaçable. Si je dois m’absenter, par exemple dans le cadre d’une formation, le dossier doit être traité. Par contre, c’est vrai que l’expérience de ce type de manifestation amène une certaine aisance dans la réflexion et le suivi du dossier, ce qui fait que, par définition, Les Petits Bouchons[4], ou Pause Guitare, cela arrive au final sur mon bureau, après visa de mon Chef.

Un festival à l’Implantation contrainte mais adaptée

 

Moe-Kan : Jusqu’à quel point la formule « personne n’est irremplaçable » est-elle correcte ? Votre expérience sur ce type de dossier ne constitue-t-elle pas un plus sur le traitement de ce type de dossiers ?

Capitaine Darget : Je mettrai plutôt en avant la qualité de l’interlocuteur. A partir du moment où nous sommes sur un spectacle qui a une certaine importance, autant l’administration n’a pas le droit de se tromper dans ses préconisations et dans ses prescriptions, autant en face, celui qui exprime l’organisation se doit d’être compétent. Un moment donné, donc, on se retrouve. Mais il n’y a pas de référent sur des dossiers comme Pause Guitare. Je ne suis qu’un des référents. Par contre, je le connais. D’une année à l’autre, il a évolué dans sa dimension, il est devenu trop compliqué pour le centre-ville, la périphérie de la cathédrale. L’idée de le déplacer à la base de loisirs de Pratgraussals, dans un espace bien adapté, bien qu’avec des contraintes, se justifie pleinement. Cette implantation rassure les personnes qui vont traiter ce dossier.

Moe-Kan : Et pourtant, si ce site est bien pour l’accueil du public, une fois qu’il s’y trouve, avant il faut pouvoir l’amener.

Capitaine Darget : Certes, mais c’est une contrainte récurrente des manifestations où il y a beaucoup de monde. Pour construire le théâtre que nous avons ici, il fallait un espace que n’offre pas le centre-ville. Aujourd’hui si on analyse le dossier en étude de danger et en analyse de risques, il est très bien dimensionné pour Albi. Par contre, il est aujourd’hui quelque peu contraint en extension. On pourra difficilement aller plus loin. Dans le cadre de notre travail, nous réfléchissions également à ces problématiques d’arrivée du public. Les réunions post-Festival servent à cela. Pour exprimer ce qui n’a pas fonctionné.

Un dialogue nécessaire entre les différents acteurs

 

Moe-Kan : Sortons de notre expérience commune liée à Pause Guitare. Si vous avez un regard à apporter sur notre secteur d’activité aujourd’hui dans le cadre de vos fonctions, quel est-il ?

Capitaine Darget : De manière objective, on rencontrait il y a quelques années des personnes passionnées par le monde de la culture et qui avaient du mal à communiquer leurs besoins et à respecter des contraintes règlementaires. Ils avaient également des difficultés à communiquer avec des gens comme nous. Aujourd’hui, avec la professionnalisation du secteur, je constate une meilleure compréhension de ce qu’est une analyse de risque, une lecture de plans, une organisation ergonomique et géographique. Nous avons assisté à un développement de la culture du métier et des responsabilités et notamment grâce aux formations associées à ces responsabilités,
Il n’y a pas que le monde des régisseurs, il y a celui des techniciens, de la sécurité. Je trouve, qu’aujourd’hui, nous sommes sur des dimensions impressionnantes, et j’essaye toujours de me mettre intellectuellement dans la réflexion de mes collègues qui sont en train de traiter de gros dossiers. Il faut savoir, par ailleurs, que nous communiquons entre nous. Un jour, un collègue qui rencontre une difficulté sur un dossier, alors qu’on dit souvent que le préventionniste est isolé, va d’abord communiquer avec ses collègues de service et, potentiellement, il va contacter les autres collègues des autres départements.
Prenons l’exemple des Rave Party, qui peuvent prendre de grandes dimensions, qui peuvent être des évènements surprises pour l’autorité et les institutions. Ils regroupent parfois 30000 à 40000 personnes sans organisation et sans interlocuteur. C’est alors très difficile d’anticiper le danger et de prévoir une réponse adaptée.
Par contre, dans le cadre d’une manifestation qui n’est pas hors-la-loi, on trouve à la fois une institution capable de dialoguer mais également les gens de votre métier qui ont su évoluer dans le domaine. Et, je pense qu’ils communiquent également entre eux.

Culture et expérience

Moe-Kan : Oui. Nous voyons cependant la différence entre quelqu’un de chez vous qui a une expérience de la gestion de l’arrivée de chapiteau par exemple, et quelqu’un qui n’a pas cette expérience.

Capitaine Darget : La culture et l’expérience sont forcément indispensables. La première fois que l’on traite un chapiteau, même un modeste, on ne sait pas par quel bout le prendre. Cela fait partie des dispositions particulières qui sont exceptionnelles. On n’en voit pas souvent des analyses de dossiers de ce type. De fait, il faut donc maitriser une règlementation qui est un tout petit peu différente de celle qu’on a l’habitude de voir. Il faut s’adapter au fait que nous sommes sur des structures mobiles démontables. Il faut se poser les bonnes questions. Mais comme nous communiquons et traitons le retour d’expérience (la catastrophe de Furiani, le drame du Heysel, à Valence le chapiteau installé pour un concert de Michel Sardou qui s’est effondré, etc..). Nous connaissons les cas d’écoles qui nous permettent de nous prémunir de la méconnaissance d’un danger. On se prépare à cela aussi.

Moe-Kan : Pour alimenter votre analyse, on met d’abord en avant ce qui ne fonctionne pas ou ce qui a bien fonctionné ? Les deux sont mis au même niveau ?

Capitaine Darget : Il y a quatre phases dans un dossier.
L’instruction du dossier avec les éléments que nous avons pour le traiter.
La réception de l’évènement avant cet événement par la commission de sécurité, durant laquelle nous vérifions la corrélation entre ce qui nous a été présenté et ce que l’on voit.
L’événement lui-même qui suscite forcément des questions, même s’il ne se passe rien, même si on a essayé de penser à tout.
Le débriefing, le bilan avec une critique positive et négative, les éléments qui ont bien fonctionné et les éléments qui n’ont pas marchés. Le tout avec correction lorsque l’événement est reconductible.

Intégrer tous les acteurs

 

Moe-Kan : Ne serait-il pas intéressant d’associer l’organisateur à ce débriefing ?

Capitaine Darget : Oui. Plus on est transparent, plus on corrige les erreurs passées. Le débriefing doit impliquer l’institution, les acteurs et peut-être même la périphérie des acteurs, éventuellement le voisinage, etc. Nous ne sommes jamais à l’abri de l’accident. Mais parce qu’on partage la connaissance, on partage le fait que chacun puisse apporter un peu d’eau au moulin en amenant des éléments auxquels on n’aurait pas pensé. Nous ne sommes que des hommes. Vous en tant qu’acteurs de l’organisation, nous en tant qu’arbitres de l’événement. Sur des commissions importantes qui impliquent notamment un gros effectif public, nous n’envoyons pas un préventionniste mais un groupe de préventionnistes. Un ne regardera que le côté opérationnel, un ne regardera que le côté technique, et le troisième qui est généralement le chef et le plus expérimenté, prendra une position plus éloignée, afin de se faire une idée de l’ensemble de l’événement. Nous avons, quoi qu’il arrive, cette obsession du risque et du danger.

Réfléchir sans dramatiser

 

Moe-Kan : Nous avons été interrogés l’année dernière par le journal des collectivités[5] et l’une des questions concernait la manière dont un élu pouvait se prémunir contre les risques en organisant un événement et nous avons répondu que la meilleure manière était de se mettre un maximum autour de la table.

Capitaine Darget : Nous sommes dans un monde judiciarisé. Chacune des 36000 communes organisait au moins sa petite fête sans problème particulier, et, lorsqu’il y avait un incident, voire un accident, on ne faisait pas un procès au maire. Aujourd’hui, la responsabilité du maire est très bien cadrée, et, de fait, on est confronté parfois à des carences, des erreurs, qui restent humaines, mais occupées par des élus. Nous pouvons prendre des exemples récents, pas forcément dans le monde du spectacle, le procès de la Faute sur mer à amener un maire à la condamnation. L’avalanche de Montroc a abouti à celle du maire de Chamonix.
De fait, un élu veut se prémunir du danger. Il a un conseil juridique auprès du bureau de la légalité de la préfecture. Quand il ne sait pas, il appelle la préfecture pour lui demander ce qu’il doit faire. D’où ses réunions d’anticipation où on regarde la faisabilité, et si cela n’est pas faisable, que faut-il faire pour que cela le soit sans danger pour le public. C’est la première question que l’on se pose. Le rallye où la voiture sort de la route et fauche dix ou quinze personnes, le stade où il y a des Hooligans, ce sont des choses que l’on ne peut pas forcément prévoir, mais auxquelles on doit réfléchir sans dramatiser la situation. A cause de certains événements récents, on est dans la peur. Nous ne sommes pas à l’abri de terroristes qui vont dans une foule lors d’un spectacle. Mais nous ne devons pas être obsédés que par cela. Sinon, nous ne pouvons plus rien faire.
C’est pour cela que nous devons dialoguer et le maire doit aussi dialoguer.

Moe-Kan : Est-ce que ce type d’événements terribles modifie les pratiques ?

Capitaine Darget : Non, ce sont surtout les services de sureté, police, gendarmerie, qui sont plus impactés. Quelque part, nous sommes toujours confrontés à une analyse simple dans des espaces de plein-air : l’incendie ou la panique, le mouvement de foule avec un grand nombre de blessés et, dans le pire des cas, un plan rouge, ou plan Novi, nombreuses victimes. C’est cela la problématique des sapeurs-pompiers. Nous adaptons les moyens en fonction de la situation et de la dimension de l’événement. Si on prend le terrain spécifique de la base de loisirs de PratGraussals, nous avons un risque de noyade. Nous sommes au bord du Tarn, nous le prenons en compte. Mais ce n’est pas cinquante personnes qui vont se jeter à l’eau. L’esprit est là. Nous devons penser au danger, donc l’anticiper en prévoyant une mesure, une réponse adaptée, mais nous ne devons pas vivre avec le fait qu’il n’y a que cela qui va arriver. Dans la troisième phase de l’événement, il faut que les organisateurs puissent se dire que les choses se passent bien, que les spectateurs sont heureux, que les recettes sont bonnes parce que les places sont vendues.

Utiliser la réglementation

 

Moe-Kan : Cela se cristallise vraiment en opérationnel lorsque nous sommes avec vous, ou les forces de l’ordre. Nous sentons que tous les gens qui peuvent agir dans ce domaine sont là. Cela fonctionne bien.
Nous souhaiterions par ailleurs votre point de vue sur la manière dont nous utilisons deux aspects de la réglementation, le GN6[6], tout d’abord, qui se fait de manière un peu étrange chez nous, et le 123-13 du CCH[7] sans qui nous aurions du mal à fonctionner.

Capitaine Darget : Vous oubliez d’ailleurs un autre article, le 123-48[8], mais je vais les prendre dans l’ordre.
Le GN6, l’utilisation exceptionnelle de locaux, dit que nous avons un espace ou un local dans lequel on veut organiser un événement pour lequel ce local n’était pas prévu.

Moe-Kan : Le concert dans l’église, par exemple.

Capitaine Darget : Exactement. La particularité, c’est que sur l’analyse de risque, le préventionniste va se poser la question de la faisabilité, et, si on peut le faire, sur ce qu’on prévoit pour garantir un maximum de sécurité et réduire le niveau de risque au minimum. Le GN6 à la souplesse de permettre tout, et rien ! C’est une analyse à chaque fois spécifique à la situation. La contrainte, c’est d’augmenter une densité de population dans un endroit où il n’y a pas forcément les dégagements. Toute la sécurité incendie est basée sur l’évacuation du public, il faut donc trouver des solutions. Quand on n’a pas les portes, on impose un service de sécurité qui va canaliser le public avec des moyens d’éclairage, de repérage.
Le 123-13 du CCH à la souplesse de permettre au législateur dans un premier temps, et au prescripteur dans un second temps, de dire que c’est un peu plus dangereux, et donc qu’il faut un peu plus de sécurité. C’est le levier du GN6, il aggrave un peu l’analyse, il demande de trouver des solutions qui soient adaptées et qui n’augmente pas le niveau de danger.

Moe-Kan : C’est donc le bras de levier pour que ce soit possible, alors qu’on entend dans notre secteur d’activité qu’avec la règlementation, on ne peut rien faire.

Capitaine Darget : Au contraire, il permet d’arrondir les angles. Mais attention, il peut s’utiliser dans l’autre sens, en aggravation ou en atténuation. Et le R123-48, c’est le levier final, il donne la souplesse à la commission in-situ, au moment de l’événement.

Moe-Kan : Cela impose donc à ceux qui amènent la contrainte, donc nous, d’être d’abord dans une démarche d’analyse de risque et pas de conformité règlementaire.

Capitaine Darget : La particularité, c’est que ce que vous faites, ce que vous organisez, est souvent à la marge de la règlementation. Il existe un cadre, les articles PA, les CTS, etc… Mais cela finit toujours par être à la marge. Lorsque quelqu’un veut mettre des fumigènes dans un théâtre, nous n’en avons pas très envie ! Et pourtant des metteurs en scène ou des régisseurs veulent parfois cela. Peut-on le faire ? A quel moment ? Avec le GN6, ils nous demandent l’autorisation. Nous, nous analysons le danger à la lumière du 123-13 du CCH, et, parfois, nous répondons que cela n’est pas possible. Effectivement, vos collègues organisateurs d’événements disent qu’avec le R123-13 du CCH, les préventionnistes répondent par la négative à des sollicitations de ce type, mais en fait, notre réponse est toujours le fruit d’une réflexion. Cette réflexion est toujours, quelque part, personnelle. Avec notre expérience, nous avons des solutions à proposer avec ce levier en bordant la demande.

« Faites de l’analyse de risques ! »

 

Moe-Kan : Si nous osions, nous vous demanderions ce que vous avez envie de dire, du coup, à notre domaine d’activité.

Capitaine Darget : Ce que j’aurai envie de lui dire, au final, c’est : « vous aussi, faites de l’analyse de risques ! » Dans le cadre de l’évolution de vos métiers, des formations que vous partagez, prenez les cas d’écoles, prenez les retours d’expérience, prenez ce qui n’a pas fonctionné, communiquez, partagez. Il ne s’agit pas de sortir un nouveau règlement, mais un cahier de conseils, un dictionnaire des prescriptions, une sorte de guide des conduites à tenir qui doit vous aidez à éviter les écueils.

Moe-Kan : nous avons eu l’opportunité de participer à un ouvrage de ce type, il y a quelques années, qui concerne spécifiquement les arts de la rue, le guide des bons usages[9]. Il ne se voulait pas un ouvrage règlementaire, mais plutôt comme un outil qui s’appuyait sur la règlementation et les bons usages.

Capitaine Darget : L’esprit et la lettre en somme !

Moe-Kan : En tout cas, nous sommes contents de constater que vous parlez essentiellement d’analyse de risque et peu de réglementation. Pourrions-nous dire qu’il est plus intéressant d’être dans une démarche d’analyse de risque et, in fine, d’aller vérifier ce que la règlementation a déjà posé, puisqu’elle raconte, en quelque sorte, l’histoire de l’accidentologie, plutôt que d’être absolument conforme, sachant que le spectacle est, par nature, en marge ?

Capitaine : La réponse est simple. Il faut un socle de culture et de réglementation. Il est indispensable, car c’est le fondement de la compréhension de la spécialité. Sans ce socle, on ne sait pas où chercher une référence. Mais, comme ce milieu est un peu en marge, avec ses délires artistiques, comme il existe des délires architecturaux, il faut arriver à se comprendre. Nous, nous sommes protégés par le principe qu’il ne faut pas d’incident, ni d’accident. Nous utilisons la réglementation pour nous protéger, tout en ayant cet esprit de compréhension. Le dialogue est, en outre, indispensable.

Moe-Kan : Pour conclure, nous aimerions, si c’est possible vous entendre sur la fin de la reconduction systématique de la commission centrale, et les interrogations que cela suscite dans notre domaine d’activité.

Capitaine Darget : Par rapport à cette problématique, je dirai deux choses :
Le fait que la commission centrale n’est pas reconduite de façon systématique, ne va pas nous empêcher au niveau des groupements de prévention de travailler. Des solutions règlementaires vont permettre aux commissions départementales, puisque c’est l’autorité investie du pouvoir de police locale qui à cette compétence, de fonctionner au mieux. Il existe donc toujours un interlocuteur, et des gens pour répondre aux questions du monde artistique.
Ensuite, quelque part, cela n’est pas votre problème. Cela n’empêche pas un artiste d’avoir des projets et de s’adapter à la société moderne des loisirs et du spectacle.

 

1 http://www.ensosp.fr/SP/pages-ENSOSP/formations/formations-de-prevention-prv1-prv2-prv3
2 http://fr.wikipedia.org/wiki/Summer_Festival
3 http://www.pauseguitare.net
4 http://www.lesptitsbouchons.net
5 Voir la Gazette n°1, décembre 2014
6 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle
7 http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle
8 http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle
9 http://horslesmurs.fr/accueil/conseil-formation/

 

 

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