Reconnaissance et appartenance

Un engagement politique
La vigie, et les pirates

 

Moe-Kan intervient depuis des années sur le Festival Pause Guitare en tant que responsable sécurité. Dans ce cadre, nous sommes tous les ans en relation avec la protection civile[1] qui y assume les missions de premiers secours à personnes. Cela faisait longtemps que nous souhaitions interviewer Xavier Bana, son responsable régional. Nous voulions ainsi qu’il nous fasse partager son engagement, sa mission, pourquoi il a choisi de faire don de son temps et de ses compétences de manière bénévole. En outre, nous voulions connaître sa vision du secours à personne et du bénévolat.

Enthousiaste, sans même nous laisser le temps de poser la première question, il nous offre son regard sur l’importance de placer l’être humain au centre de cet engagement. Nous écoutons donc attentivement l’expression d’une valeur chère à nos principe fondamentaux soit remettre « l’humain » au cœur de la réussite.

 

Xavier BANA : Dans nos missions d’encadrements des bénévoles qui nous rejoignent, nous ne devons jamais oublier l’humain. Nous leur demandons beaucoup, et, en retour, sur un événement comme Pause Guitare, ils ne profitent pas vraiment des concerts. Du coup, nous devons mettre l’individu au centre de notre considération.

En termes de structure, nous avons des impératifs administratifs, mais, au-delà du fait que nous portons assistance à des êtres humains, la prise en compte de l’aspect humain de l’équipe est extrêmement important. J’ai beaucoup appris en ce qui me concerne. En particulier, comment faire travailler des personnes des milliers d’heures dans l’année, qui en retirent du plaisir, et qui ne demandent pas d’argent en contrepartie ! Pourquoi ? Parce que l’on se retrouve autour d’un idéal commun, d’un sens commun et d’un objectif commun.

 

Moe-Kan : Quels sont vos rapports avec les organisateurs d’événements ?

XB : Lorsque nous intervenons sur des évènements comme Pause Guitare, nous sommes confrontés, avec les organisateurs, à deux approches complément différents.

Tout d’abord, il y a l’organisateur qui a besoin de nous. Dans ce cas, nous sommes comme le chien au milieu du jeu de quilles, jusqu’au moment où il se passe quelque chose. Il se dit alors : « heureusement qu’ils étaient là ! » Jusqu’à ce que quelque chose arrive, c’est comme pour l’assurance de ta voiture, cela t’ennuie profondément de la payer, mais tu es content de le faire quand tu en as besoin ! Souvent, ce type d’organisateurs n’ont pas forcément conscience de ce pourquoi ils font appel à nous. Ils le font parce qu’avant eux, d’autres le faisaient, sans trop savoir pourquoi.

Le sentiment que j’ai sur Pause Guitare, et particulièrement depuis que Moe-Kan est arrivé, même si cela a toujours été un festival familial respectueux des intervenants, c’est que j’ai affaire à un organisateur qui sait ce qu’il fait. Il ne nous donne pas l’impression que nous sommes là pour être pénibles. Pour réaliser notre mission, nous demandons des choses, certains sont possibles, d’autres non, en fonction du contexte global. Au final, nous pouvons dialoguer afin que notre activité puisse se dérouler dans de bonnes conditions pour les personnes que nous prenons en charge, et pour les secouristes qui les prennent en charge. Ces derniers ne doivent pas se retrouver dans des situations où ils se retrouvent en difficultés toute la soirée. Sinon, ils ne prendront pas du plaisir, et le plaisir est ce qui les anime. Je ne parle pas du plaisir de vivre un concert, son ambiance, mais de celui qui provient de la considération que l’on retire de la mission qu’on vient y effectuer.

Sur Pause Guitare, nous faisons notre travail, nous sommes pris en compte, et nous participons au fait que le spectacle existe. J’ai croisé quelqu’un récemment qui avait assisté à la grosse soirée en 2014 durant laquelle se produisait, entre autres, Calogero. Il m’a demandé si on y était. Je lui ai répondu que oui, et que nous avions eu pas mal d’interventions. Il m’a alors dit qu’il ne nous avait pas vu. « Si tu ne nous as vu, c’est que nous avons bien bossé ! » Nous sommes là pour récupérer ce qui peut attirer l’œil afin que les gens puissent rester dans leur spectacle. De cette manière, nous participons au spectacle sans faire notre show, en restant le plus discret possible. Nous ne pouvons pas laisser quelqu’un d’agité en train de vomir au milieu du spectacle.

Avec Pause Guitare, nous échangeons, nous faisons des points réguliers. Nous appliquons ensemble, comme tu me l’as dit en 2014, la théorie de mes pairs Une soirée qui s’est bien passée, c’est quand tu n’as rien fait ! Cela veut dire que tout était callé. Dès lors que le chef de dispo se met à faire quelque chose, cela signifie qu’il y a eu un loupé dans la préparation.

 

MK : Effectivement, sur la soirée, tu vas intervenir concrètement trente secondes. Durant ces trente secondes, tu es là, disponible psychologiquement et physiquement. Tout le reste du temps, si tu as été en action, c’est que tu as peut-être mal travaillé en amont.

Je souhaite faire un retour en arrière un instant. J’aimerai que tu présentes ton parcours, ta fonction au sein de la protection civile.

XB : J’ai débuté dans le secourisme en 1992. Je suis tombé dedans à la fac, avec un groupe d’ami. Le foyer des étudiants avait organisé une session de formation avec un formateur de la protection civile. Ce dernier nous a communiqué sa passion. Il nous a appris à apprendre. Il savait recruter des personnes motivées. A l’époque, nous passions un diplôme avec la préfecture et un jury. La formation permettait de mélanger la technique mais aussi l’humain, avec les fêtes que nous organisions aussi.

J’ai donc débuté ma carrière dans le secourisme d’abord en tant qu’étudiant à Toulouse, puis dans le Tarn en débutant ma carrière professionnelle.

 

Référentiel et « secourisme à Papa »

 

J’ai vécu un choc de culture. En frappant à la porte de la protection civile locale, c‘était la même étiquette sur la maison, mais pas la même maison ! J’y ai rencontré pas mal de secouriste « synthol. » « Tu as mal ? du synthol, un ricless sous la langue, du coton et de l’arnica ! » J’avais appris un autre secourisme, comme celui que l’on pratique aujourd’hui. Je suis arrivé par l’entité de Castres, car, à l’époque, le Tarn était divisé en plusieurs entités. A Castres, Nous avions une grosse activité, cinq postes dans l’année, cinq manifestations, alors que c’est ce que je faisais en deux week-end à Toulouse ! J’étais un peu en manque d’action, et en décalage avec le secourisme pratiqué. Du coup, rapidement je me suis retrouvé à coordonner l’équipe de Castres. Comme j’étais en manque d’activité, je suis également arrivé sur le circuit d’Albi où j’ai rencontré des gens du même moule qu’à Castres.

 

MK : Tes études portaient sur quoi ?

XB : Génie mécanique. Rien de médical.

 

Ingénieur ? Ingénieux surtout !

 

MK : Même pas du management ?

 XB : non, le management, je l’ai appris dans la protection civile. Je crois cependant que pour être un bon manager, il faut un terreau favorable, être quelqu’un de positif. Lorsqu’on regarde le verre à moitié rempli, il est certes à moitié vide, mais il est surtout à moitié plein, et plus plein que vide, même à moitié ! Aujourd’hui, notre milieu scolaire dit que lorsqu’on est cadre, on encadre des gens parce qu’on est plus malin que les autres. Dans le milieu de la mécanique, j’ai assisté une fois à un conflit entre un ouvrier et un ingénieur, ce dernier mettant en avant son statut. L’ouvrier lui a répondu : « Tu seras ingénieur le jour où tu seras ingénieux. Si tu ne veux pas te prendre le marteau dans la figure, sers les boulons comme je te dis de le faire ! » Etre ingénieux ne s’apprend pas à l’école. L’expérience aide. Mais au-delà, on retrouve deux catégories de managers, les manipulateurs et les influents.

La protection civile m’a permis de développer mes compétences de managers. Ce qui est important pour moi, pour revenir à ta question sur mes études, c’est que mon métier, dans le domaine des machines-outils, et mon engagement dans le paramédical, sont bien dissociés. Quand je suis au boulot, c’est le boulot, même si je suis secouriste du travail aussi, et quand je fais du secourisme, je ne suis pas ou boulot. Même si les compétences acquises dans un domaine se transmettent, et sont mises en application dans l’autre.

 

Susciter l’adhésion

 

Le bénévolat m’a apporté énormément. Avec un DUT, je ne devrais être qu’un exécutant. Grâce à la dimension protection civile dans ma vie, je suis sur l’animation ateliers, j’intervenais à l’étranger. J’ai l’étiquette tuteur, sénior manager du service. Et tout nouveau chef de chantier qui va encadrer des équipes, fait six mois en binôme avec moi, afin que je puisse lui transmettre mon savoir-faire en termes de gestion des hommes. On peut dire la même chose au niveau du sens, mais en fonction des mots, on peut générer de l’adhésion, ou de la répulsion.

 

Revenons à mon activité sur la protection civile. En tentant de faire bouger les choses sur Castres et Albi, j’ai fini par énerver des responsables. Le responsable opérationnel départemental a fini par dire, « je n’en peux plus, c’est lui ou c’est moi. » le président a alors répondu : « c’est lui ! » Cela a provoqué un tremblement de terre. Je me suis retrouvé responsable opérationnel départemental avec des secouristes qui, à l’époque, ne faisaient pas de secourisme, dans un local mal rangé, sans véhicule. Le seul véhicule qui appartenait à l’association, c’était un Nissan 7 places. Les banquettes se mettaient à l’horizontal pour soigner les gens… un autre monde.

 

On est reparti avec une vingtaine de personnes, je les ai formés sur le tas, en étant beaucoup sur le terrain. Aujourd’hui l’équipe fonctionne sans mon intervention directe, je ne fais que superviser. Elle fonctionne comme une entreprise, même si l’activité est bénévole et repose donc sur une dentelle humaine extrêmement fragile. La comptabilité doit être rigoureuse, compte-tenu des sommes en jeu par exemple. Nous sommes en permanence sur des équilibres financiers fragiles.

 

J’ai pris voilà quatre ans la présidence de l’association, tout en ayant constitué une équipe. Ces six derniers mois, j’ai été peu présent, et, pourtant, cela tourne quand même. Cela me montre que j’ai constitué une équipe qui fonctionne. Cela n’est pas évident dans le bénévolat. Avoir des gens sérieux qui font ce qu’ils disent qu’ils font, et qui disent ce qu’ils font.

Etre fiable, avoir des valeurs, n’est pas forcément en corrélation avec un niveau scolaire.

Nous avons la chance d’avoir dans l’association des personnes de tout niveau d’étude et de tout niveau socioculturel. Par contre, nous n’avons que des gens proactifs. Ils viennent en décidant de pousser la porte.

 

Communiquer pour mener à bien nos missions

 

MK : Vous ne faites pas de campagnes de recrutement ?

XB : Si. La communication est une activité à part entière dans l’association, puisque, comme elle est composée de bénévoles, des gens arrivent, d’autres partent. Le bénévolat est un parcours. Selon les paramètres de la vie professionnelle et personnelle, des gens qui avaient du temps à consacrer pendant un, deux ou trois ans, n’en ont plus à un moment donné. Il est donc nécessaire pour nous de recruter sans cesse. Les actions de communication sont donc une nécessité. Le président de l’association à une époque disait, « personne ne viendra nous voir, nous devons nous montrer, être visible. » D’où, par exemple, sur Pause Guitare la diffusion du film avant les concerts. D’où la page Facebook[2], twitter[3] etc…

Nous participons également aux forums d’associations. Nous investissons sur les compétences de chacun. Nous avons, par exemple, des bénévoles férus de photographie. On monte des vidéos, des reportages photos, on a donc investi dans une télé pour montrer ces outils de communication. Nous sommes dans une société globalement passive. D’où l’importance de la communication. D’autant que dans nos missions, il y a la formation du grand public au secourisme. Statutairement parlant, nous sommes en effet là pour développer le secourisme et mener toutes les actions de préventions et de réduction des risques en matière de santé public.

Nous traduisons cela par l’opérationnel sur des spectacles, des évènements culturels ou sportifs, et la formation. En formant 100 personnes, on parvient à en attirer 4 ou 5 dans nos rangs, plus 4 ou 5 par la communication. Dans l’année, nous rentrons 20 à 25 personnes, et, parmi eux, 10 vont se former. Ils vont être là pendant 2 ans, à fond la première année (400 à 500 heures sur le terrain), moins la seconde (environ 300 heures) et ensuite, quelqu’un qui se stabilise fait environ une manifestation par mois soit 100 à 150 heures de vie associative par an, en plus de la formation continue obligatoire. Là, souvent, le bénévole se stabilise, puis disparaît. D’où l’importance de renouveler ces forces vives. Les formations ont donc lieu au mois d’avril, avant la grosse activité estivale. Ensuite de septembre à mai, nous sommes plus sur un rythme de croisière. On repart ensuite sur une nouvelle saison estivale, durant laquelle les nouveaux venus dynamisent ceux présent depuis plusieurs années.

C’est un peu comme un attelage. On met les chevaux par paire, pour que les deux s’entrainent l’un l’autre.

La transmission du savoir se fait par la formation initiale et les préparatifs avant, mais la transmission du savoir-faire et du savoir-être se fait de secouriste à secouriste. La façon de travailler de la protection civile du Tarn est, à ce titre, unique.

Il y a à la fois le savoir-faire protection civile, et à la fois les spécificités du Tarn.

 

D’inconscient incompétent à conscient compétent

 

MK : Tu parles de formation. Pour préciser, les bénévoles partent de zéro pour arriver à quel niveau en termes de qualification ?

XB : Quelqu’un qui a obtenu le PSC1[4] et l’a bien compris, maitrise la base de la prise en charge de quelqu’un. Il sait comment approcher cette personne, comment glaner les informations sur les circonstances, quels sont les gestes qu’il peut effectuer, et comment transmettre ces informations.

C’est la même chose chez nous. Les gens très expérimentés vont faire la même chose, même s’ils ont plus d’expérience, qu’ils utilisent plus de techniques.

Il existe évidemment des titres édictés par le ministère de l’intérieur. Il y a tout d’abord une initiation de 7 heures de face à face pédagogique. Ensuite, il existe le PSE 1, premiers secours en équipe premier niveau et le PSE 2. Au niveau de l’état, ce sont les deux seuls référentiels de recommandation qui existent en matière de compétences.

Au niveau de la fédération, il existe des modules complémentaires de chef d’équipe (jusqu’à 6 personnes), de chef de poste (jusqu’à 12 personnes), de chef de secteur (jusqu’à 36 personnes), etc. Ces modules sont basés sur un apport réglementaire, et énormément par le tutorat. Cela consiste à mettre des personnes en situation, à leur expliquer les attendus. Ils passent alors par les quatre phases d’apprentissage. Incompétent inconscient, Incompétent conscient, compétent inconscient et compétent conscient.

Les personnes qui rentrent dans l’activité sont soit des incompétents inconscients ou des incompétents conscients. Il existe deux attitudes : d’abord celle du cowboy qui veut sauver la planète. Pour ceux-là il faut leur faire comprendre qu’ils doivent changer. Souvent ils partent car ils ne trouvent pas avec nous ce qu’ils viennent chercher, c’est-à-dire gonfler leur égo. La seconde attitude, c’est celle des personnes qui viennent en étant conscient de leur incompétence. Avec eux, on peut rentrer dans un processus d’apprentissage soit très formel ou de façon très informelle sur le terrain. Il est nécessaire de mettre les personnes dans le cambouis. On apprend de ses erreurs. Ensuite, on débriefe. Par contre, ce n’est pas au détriment de nos actions sur le terrain, évidemment.

 

Les missions du manager

 

MK : En quoi la fonction de manager, dans la protection civile, est-elle complémentaire de celle de secouriste ?

XB : Les missions de manager sont différentes de celles de secouriste. En tant que manager, on ne fait pas de secourisme. D’ailleurs, il ne faut pas, nos missions sont autres. Il est nécessaire de comprendre en quoi ces missions sont complémentaires par rapport aux soins.

Quand j’ai appris le secourisme, nous étions 5 dont un qui était chef de groupe. Notre formateur pratiquait la piedauculthérapie ! Il expliquait qu’il nous stimulait ainsi pour nous permettre de réfléchir. Si celui qui était chef de manœuvre touchait la victime, il prenait un coup de pied au cul ! Il nous expliquait qu’en touchant la victime, tu perds les perspectives de la situation, tu es bloqué dans l’instant. Le rôle du chef d’équipe n’est pas de relever la victime, mais de regarder le parcours, les accès, etc.

Plus on est élevé dans la hiérarchie, plus on s’éloigne du soin à la personne pour se focaliser sur le mécanisme de fonctionnement. Le chef de poste ne se consacre pas à une intervention, mais à la mission dans son ensemble. Il doit s’assurer du positionnement des équipes, de leur bonne compréhension de la mission, du confort des équipiers, de la logistique, de la stabilité du dispositif. Il s’assure, dans ce sens, de la présence de gens en binôme, de personnes potentiellement prêtes à effectuer une intervention, à sécuriser les gens qui sont sous la tente. Le chef de dispositif évalue le dispositif en permanence.

Dans le cadre de Pause Guitare, à 18h, je mets en place mes binômes avec les premiers concerts. Ensuite, je fais un regard à 360°. Je vois d’un côté 3000 personnes qui écoutent le concert, de l’autre 3000 qui attendent de rentrer à la billetterie. Du coup, je constate un potentiel risque plus élevé. Je décale donc un binôme, même si initialement, ce n’était pas prévu comme cela. Le chef de manœuvre s’assure que la manœuvre s’effectue correctement et le chef de dispositif s’assure que le dispositif fonctionne dans sa globalité.

Il faut être une éponge, être attentif et ouvert à la météo, à la présence de personnes compliquées au bar, par exemple etc. Ceci, pour pouvoir s’adapter en permanence. C’est pour cela que le chef de poste se promène tout le temps. S’il boit un café avec le responsable sécurité, c’est parce qu’à travers ce café, plein d’informations transitent. En glanant des informations lors de ce café, je peux adapter mon dispositif pour réagir au besoin, être là au « juste à temps ». Cela ne s’apprend pas à l’école. Il faut l’avoir vu et vécu en étant acteur. Le débriefing de l’équipe à l’issu amène un échange, une explicatif permettant de comprendre ce qui a été vécu. Ensuite, les expériences passées permettent d’aiguiser son acuité sur les événements.

 

Une activité fortement estivale

 

MK : Dans ta fonction de président, quelles perspectives envisages-tu pour la protection civile dans les années à venir ? Qui sont les organisateurs qui font appels à vous ? Au contact des organisations de spectacles, as-tu vu des évolutions ?

 

XB : Pour répondre à ta deuxième question, tout dépend du calendrier. La partie spectacle est beaucoup plus importante pendant la période estivale. L’intervention en milieu festif se déroule de mi-juin à mi-septembre. La proportion des activités qui concernent les festivals les animations de rues est alors majoritaire. Le reste de l’année, il s’agit essentiellement des activités sportives. Aujourd’hui, les sociétés de spectacles considèrent, en louant des bâtiments, que les SIAP présents sont suffisants pour assurer les missions assurées par la protection civile.

Ces évènements festifs peuvent durer une ou plusieurs journées, et dans ce cas, cela nécessite un autre management d’équipe. Nous intervenons sur le Tarn, mais nous renforçons également d’autres structures. Par exemple, dans le cadre de la Transpyrénéenne, des fêtes de Bayonne, de Mont de Marsan, etc.

Chaque département fait appel aux autres départements pour renforcer son équipe.

Chaque événement festif demande, en effet, énormément de ressources sur une période réduite par rapport au reste de l’année. Par exemple, nous mettons quatre personnes sur une rencontre de foot, là où sur Pause Guitare, c’est 24 personnes. Personne ne s’y est tourné les pouces. Lorsqu’on met trente personnes, il n’y a pas de travail pour dix. Sinon, on démobilise les gens qui perdent alors l’intérêt de participer.

 

Trois ou quatre organisateurs font appel à nous, comme Arpèges et trémolos qui organise Pause Guitare mais aussi le festival des petits bouchons. Les autres sont plus sur une échelle de comité de fêtes. En parallèle, nous avons une trentaine de clients dans le domaine sportif. Dans le foot, le rugby, le judo, le running etc. Là encore, c’est à une échelle locale et réduite, mise à part le FCA (Rugby) avec qui nous avons un contrat à l’année.

 

Maintenir l’existant

 

MK : Quelles perspectives envisages-tu pour les années à venir ? Quels objectifs as-tu ?

XB : Notre premier objectif, qui demande de l’énergie, c’est de garantir et maintenir l’existant. Nous ne pouvons laisser partir en sucette des comportements individuels de bénévoles qui pourrissent les relations avec les organisateurs. Je parlais tout à l’heure de la dentelle des bénévoles mais, le ressenti de l’organisateur relève également de la dentelle. Il ne sait pas forcement ce que nous faisons, et nous ne savons pas forcément ce qu’il fait. Cela se passe bien s’il ne nous explique pas comment prendre en charge une victime, et si nous ne lui disons pas comment prendre en charge le flux de bière à la buvette. Chacun son boulot et ses missions sur l’événement. Comme nous ne faisons pas le même travail, nous n’avons pas le même langage, ni les mêmes intérêts et objectifs. Nous devons pouvoir communiquer et installer une confiance. Cette confiance peut être mise à mal en rien de temps. Rien n’est jamais acquis. Donc, faire perdurer l’existant est une première mission.

Parallèlement, il faut animer, comme nous n’avons pas de salariés, la flamme de l’envie chez des bénévoles, actuellement 36 personnes, qui sont sollicités tout au long de l’année. Or, il faut prendre plus d’activités, car, s’il nous manque des bénévoles et que nous décidons, du coup de prendre moins de postes, nous nous sommes rendu compte que le moins engendre le moins. Moins il y a de choses à faire, moins il y a d’intérêt pour les faire, et moins il y a de gens pour les faire.

Il faut maintenir l’activité pour montrer aux gens que nous avons besoin d’eux. Il faut entretenir les relations avec les bénévoles. Cela passe par des attentions non formatées. Il faut soigner cette relation. Si les personnes donnent de leur temps sans compensation financière, c’est pour vivre cette relation. Un individu qui vit cette reconnaissance peut produire de très belles choses. Nous avons des personnes proactives parce qu’elles ont pu trouver leur place.

 

Une gestion précise des ressources humaines

 

Notre second objectif, c’est de progresser. Progresser d’abord par le nombre. Etre plus attractif pour avoir plus de monde, et donc de gens compétents, et ainsi pour pouvoir répondre à de plus en plus d’offres d’activité. Aujourd’hui, nous sommes obligés de refuser un certain nombre de sollicitations, tant sur notre département que pour des renforts dans d’autres départements.

Nous avons un potentiel humain. Nous ne pouvons pas demander aux gens de s’engager trois ou six mois en avance. C’est impossible. Les gens commencent à s’inscrire pour une manifestation un mois avant, et généralement, elle est pourvue la semaine qui précède. Nous sommes toujours dans le domaine de l’éphémère. Nous faisons des cotations de ressentie sur l’appartenance des personnes à la structure. Untel est présent trois fois par mois, tel autre personne est là une demi-journée par mois. Du coup, nous avons un cota mensuel d’hommes/jours. Avec cela, par mois, nous ne devons jamais être au-delà en termes d’activité. Si nous sommes au-delà, nous allons trop solliciter les personnes. Nous aurons alors ensuite le contrecoup.

Avec ces indicateurs, nous devons évaluer le nombre de personnes à engager et voir si nous devons solliciter nos collègues des départements voisins.

Pour te donner un exemple à fin aout, nous serons intervenus sur 84 événements. Et au final, sur l’année, sur environ 120 sur 52 week-end, et ce, avec uniquement des bénévoles ! 36 personnes au total, avec certains plus impliqués que d’autres. On peut dire qu’avec 20 personnes présentes, nous avons fait l’année dernière 8800 heures en poste (c’est à dire sans les heures en amont, en réapprovisionnement etc.…). Cela fait donc, en moyenne, 440 heures par individu, et plus précisément, sans les stagiaires, 300 Heures par an.

 

Une mission plus simple et plus compliquée que celle des pompiers.

 

Concernant les évolutions, tout ce que nous faisons est guidé par le souci de faire de la qualité. En ce moment, par exemple, nous sommes en discussions avec les pompiers pour évacuer les personnes du site à leur place. C’est une demande de ces derniers pour leur éviter de solliciter durant le festival un véhicule supplémentaire qui doit être prêt. Le souci pour nous c’est que, dès lors que nous sommes obligés de faire un transport, le groupe sur place se réduit. Donc, des compétences ne sont plus sur site. L’autre danger, c’est d’être plus attractif à des « cow-boys », car on va circuler avec des gyrophares et faire « Pin Pon ». Or, les cow-boys sont complexes à gérer.

Les autorités nous sollicitent fortement pour le faire, et la Loi a récemment changé. Nous allons passer ce cap, mais nous devons maitriser l’histoire. Nous serons attentifs à bien rester dans nos missions, et dans notre professionnalisme. Nous ne sommes pas médecins. Nous sommes des manutentionnaires du secours, un premier filtre aux missions à la fois plus compliquées et plus simples que celles des sapeurs-pompiers. Pourquoi ? Le sapeur-pompier qui est appelé, a un bip et agit. C’est simple. Mais, en même temps, c’est techniquement et humainement compliqué. La voie publique, c’est parfois extrêmement difficile.

Il sait en tout cas, tout de suite, si son niveau de compétence est en phase avec la mission qu’il a à remplir.

De notre côté, nous venons accompagner un organisateur sur un dispositif. Nous n’avons pas un bip. Nous devons rester pendant les huit ou dix heures d’ouverture d’un site, en veille active. Nous devons savoir où est le matériel et les collaborateurs. Comme nous ne faisons pas grand-chose, nous perdons en compétences dans le temps. D’où l’importance de se former régulièrement. Sinon, le jour où cela pète, le niveau de compétence n’est plus suffisant. Des gens partent de l’association parce qu’ils quittent la route en n’étant pas vigilant sur ce point. Enfin, dernier point, cela ne finit pas à l’hôpital à chaque fois. Nous devons faire un choix, un choix difficile à base de ressentie mais qui repose sur un lit de techniques que l’on a appris. C’est un travail de groupe.

Je me souviens d’une fois. Un garçon qui était tombé sur la tête à VTT. Cela ne semblait pas grave, mais je ne sais pas pourquoi, je l’ai gardé. Nous avons discuté jusqu’à ce que 20 minutes plus tard, il déclenche les symptômes du traumatisme crânien. Là, nous avons demandé l’évacuation. Si je l’avais laissé partir, ses parents l’auraient retrouvé inconscient ou mort plus tard dans la soirée.

Nous n’avons donc pas les mêmes missions que les pompiers, nous ne sommes pas moins importants ou moins bons, mais nous sommes complémentaires. Et puis n’oublions pas que les pompiers étaient des bénévoles à l’origine ! En effet, au départ, c’était des bénévoles qui s’étaient regroupés pour saper et pomper afin d’éteindre le feu de la grange. Les mairies ont financé les charrettes à bras. Durant les années 70, l’automobile s’est répandue. Il fallait bien aller chercher les blessés ou les cadavres sur le bord des routes. Les pompiers se sont vus confier cette mission pour les ramener à l’hôpital. Avec la création du SAMU, au début des années 80, on a ensuite amené les médecins auprès de ces blessés.

Du bénévolat, les pompiers sont devenus soit volontaires, soit professionnels. De communales, les structures sont devenues départementales, les connaissances et les pratiques ont été unifiées. Ils ont été formés pour assister les médecins, en posant des voies, prendre des tensions…

 

Intervenir dans le cadre du secours à personnes

 

Aujourd’hui, les sapeurs-pompiers passent 80% de leur temps à faire du secours à personne alors que 60% de leur formation concerne l’incendie. Du coup, c’est le SAMU qui a été désigné pour le transport de personnes. Dans le Tarn, le secours à domicile c’est le SAMU, et le secours sur la voie publique ce sont les pompiers.

Il a même été décidé que tout le secours à personnes revenait au SAMU, mais il y a eu un retour en arrière, car avec des ambulanciers privés, vu qu’ils sont rémunérés au transport, tout le monde arrivait à l’hôpital même quand cela n’avait aucun sens.

 

Dans les évolutions pour nous donc, notre job n’est pas de transporter. Nous venons avec deux secouristes qui prennent des signes, les faits et les constantes de manière à faire ce qu’on sait faire, c’est-à-dire de décider si nous devons ou pas faire appel au SAMU. Une fois la personne dans l’ambulance du SAMU, le binôme peut repartir.

Ce fonctionnement est une hypothèse de développement pour les prochaines années. Cela répond à la problématique que j’abordais plus haut concernant le sentiment d’appartenance et la mise en valeur, car la mission est importante. C’est ce binôme qui va arriver en premier et va pouvoir faire « Pin Pon » ! On répond en même temps au souci de filtrage que connaît le SAMU qui reste, quoi qu’il arrive, le patron.

 

Les deux mamelles du bénévolat

 

MK : Revenons au fonctionnement quotidien. Quand tu demandes ceux qui sont disponibles pour Pause Guitare, par exemple, est-ce que cela suscite une adhésion plus forte ou moins forte que pour d’autres interventions ?

XB : Ceux qui ne viennent pas à Pause Guitare, c’est parce que leur calendrier ne leur permet pas. Sinon, ce festival à une très bonne presse parmi les bénévoles de la structure.

En tout cas, au-delà du cas Pause Guitare, l’envie ou non d’être sur un événement est contrecarré par la reconnaissance et l’appartenance que j’évoquais plus haut. Appartenance car même si je n’ai pas trop envie, je vais y aller quand même parce que la structure en a besoin.

Nous avons volontairement écarté l’activité équestre par exemple. Dans le Tarn, la façon dont nous sommes traités ne correspond pas à nos critères. Nous ne sommes pas exigeants, et nous sommes respectueux des organisateurs. Mais il faut un minimum dans l’accueil qui nous est offert. Le panier repas génère de la motivation sur une manifestation ou pas, par exemple.

Au final, reconnaissance et appartenance sont sans doute les deux piliers du bénévolat. Par exemple, sur Pause Guitare, il y a un millier de bénévoles. C’est probablement parce que Arpège et Trémolo les considère. Les bénévoles ont un badge Pause Guitare, un tee-shirt Pause Guitare, ils font partie de la grosse machinerie Pause Guitare, ils sont remerciés sur la scène devant 15000 personnes. En outre, en tant que Bénévoles, ils appartiennent alors à un groupe, celui des bénévoles de Pause Guitare, le plus gros Festival de Midi-Pyrénées. Résultat : 1000 personnes s’investissent dans cette organisation qui ne fonctionnerait pas si chacun devait être rémunéré.

 

MK : As-tu un regard particulier concernant votre collaboration en tant que protection civile avec les gens du monde du spectacle ?

XB : Pour te citer notre expérience avec le Festival Pause Guitare, nous avons commencé avec eux il y a pas mal d’années. Au départ nous étions, en gros, dans le cadre d’une organisation menée par un comité des fêtes amélioré. Arpège et Trémolo a ensuite su grandir. Ils ont su se remettre en question pour passer de 5000 à 14000 personnes. Ils ont su faire appel aux bonnes personnes pour conserver la maitrise du Festival.

De notre côté, nous n’avons pas vraiment plus de travail que ce que nous connaissions avant. En effet, le développement du festival s’est fait de manière intelligente dans le choix du site, par exemple. Au départ, nous étions en plein centre-ville et la chaleur était un souci. Sur le site actuel, nous avons de la végétation, nous sommes au bord de l’eau.

En outre, nous communiquons mieux et plus avec l’organisation qu’au départ. Dans les premiers temps, il n’était pas toujours aisé de trouvé le bon interlocuteur, tout le monde était sur le pont. Lorsque le site a changé, nous avons pu dialoguer autour du dispositif nécessaire, avec la technique. En effet, notre positionnement sur la passerelle PMR a fait l’objet d’échanges. Mais comme nous devons être vu du public en cas de besoin, nous avons pu y arriver.

 

[1] http://www.protection-civile.org

[2] https://www.facebook.com/protectioncivile81/?fref=ts

[3] https://twitter.com/ProtecCivile81

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9vention_et_secours_civiques_de_niveau_1

Crédits photos : Philippe Cuvelette

 

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